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Reed (2014) : « La retraite me fait peur »

Publié par La Rédaction le vendredi 31 juillet 2020 à 10:22

Il y a six ans, la retraite faisait « peur » à Chad Reed. Maintenant qu’il a décidé de sauter le pas, l’interview de 2014 prend une ampleur toute différente. On y revient en attendant l’outdoor.

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LeBigUSA.com : vous traversez en ce moment des moments difficiles avec la blessure de Chad alors que tout allait bien, comment le vivez-vous au quotidien ?
Chad : « C’est très difficile car je me suis beaucoup investi à tous les niveaux pour en arriver là et tout s’est écroulé. J’ai gagné deux courses cette saison et j’ai le sentiment tout au fond de moi que j’étais capable de gagner le titre 2014. C’était d’autant plus étonnant que je ne suis pas connu pour être un pilote qui se blesse souvent. J’ai eu plus de blessures ces dernières années que pendant toute ma carrière. »
Ellie : « Chad était exactement où il voulait être avant de se blesser. C’est comme s’il était rentré dans un mur alors qu’il était en pleine vitesse. Quand tu travailles autant et que tu prends autant de risques financiers, c’est difficile à accepter. »

« Abandonner » n’est pas dans votre vocabulaire à tous les deux. D’où ça vient ?  
Chad : « C’est vrai qu’on vient de loin. En Australie on est seulement quatre à avoir réussi dans le cross. Après tout ce qu’on a traversé pour en arriver là, « abandonner » n’est pas une option. Ce n’est pas notre style. »
Ellie : « On a du tout le temps se battre pour arriver à nos fins. A 16 ans, les parents de Chad refusaient qu’on parte tous les deux en Europe. Son père était dur avec nous et il a forgé sans vraiment le vouloir le caractère de son fils. On savait exactement ce qu’on voulait et nous n’avons pas cédé. On était déterminé à partir et rien ni personne ne pouvait nous en empêcher. Ses premières courses étaient horribles mais à aucun moment on a décidé de rentrer. On avait pas le choix. On ne pouvait pas rentrer en Australie avec un sentiment d’échec. Personne ne nous a donné les victoires et les titres. On a été les chercher nous-mêmes. »

A 32 ans, est-ce plus difficile de se remettre mentalement d’une blessure ?
Chad : « Je pense que le corps a une date d’expiration et que l’on cherche tous à aller au-delà de cette date. J’ai dépassé la date depuis longtemps. Les gens se demandent jusqu’où je peux aller. Ils étaient étonnés de me voir sur un podium cette année. J’ai pourtant un pourcentage de réussite sur un podium de plus de 75%, il n’y a pas de raison que ça change parce que j’ai 32 ans. Pour répondre à ta question, mentalement je suis détruit car tout s’est effondré mais ce sont des moments qui passent vite, peu importe l’âge. Je vais rebondir, je n’ai aucun doute là-dessus. Avec une bonne rééducation, je suis confiant. Je serai de retour en outdoor au même niveau que j’étais avant de me blesser et je me battrai pour un nouveau titre. »
Ellie : « Pour moi c’est horrible de voir Chad blessé. En plus je suis enceinte donc j’ai des émotions qui remontent. Je n’avais pas besoin de ça. Il était censé s’occuper de moi et pas le contraire. Moi aussi je vais avoir 32 ans et j’ai plus d’expérience qu’avant. Je vois qu’il n’est pas prêt à lâcher. Il est plus déterminé qu’il ne l’était il y a six ou sept ans. Sa blessure n’est pas un prélude à une retraite. Il n’est pas du tout dans cet état d’esprit. »

L’équipe TwoTwo Motorsports c’est votre 3ème enfant en fait non ? 
Chad : « C’est surtout l’enfant qui mange le plus (il rit). J’adore mon équipe et les gens qui y travaillent. C’est certainement l’une des meilleures de toute l’industrie du cross. Je le dis sans prétention. Il suffit juste de regarder la liste des employés et leurs expériences. Ils sont tous extrêmement qualifiés. La seule chose qui nous manque est le financement. Ce n’est pas évident de boucler le budget d’une saison à l’autre. Maintenant que je suis blessé je ne cache pas que je vais en profiter pour aller démarcher des sponsors, passer des coups de fil et frapper à des portes. »

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« J’ai trois titres en SX/MX et j’achète mes motos. C’est une plaisanterie. Je ne gagne aucun bonus sur mes victoires, rien du tout. Les constructeurs devraient prendre leur responsabilité. Ils donnent de l’argent à des équipes soit-disant « officielles » mais je suis devant leurs pilotes. C’est pathétique. TwoTwo Motorsports est un « bébé » qui fait peur. Je trouve ça bizarre mais c’est comme ça »
Ellie : « Je suis fière de TwoTwo Motorsports. C’est une vision que l’on avait avec Chad et c’est génial de voir qu’on a réussi à la mettre au monde. De mon côté j’essaie d’aider le plus possible. Je prends les décisions que personne ne veut prendre et je fais en sorte que tout fonctionne sans accroc. C’est un travail à plein temps et avec deux enfants, bientôt trois, ce n’est pas de tout repos mais on fait ce qu’on aime. C’est notre vie. »

Après 12 ans aux Etats-Unis vous vous sentez davantage américains qu’australiens ?
Chad : « Quand tu viens d’un petit village en Australie comme Kurri Kurri tu restes australien pour toujours. Cela dit, ma maison c’est ici où nous sommes en ce moment à faire cette interview avec toi. C’est ici que je me sens le mieux avec Ellie et les enfants. Toute ma vie d’adulte je l’ai vécu aux Etats-Unis. Je ne connais pas vraiment autre chose. »
Ellie : « Je suis contente d’être un peu des deux, à la fois australienne et américaine. J’aime avoir le choix de vivre où l’on veut. Ma maison reste la Floride. C’est ici qu’est notre vie. J’ai quitté l’Australie alors que j’étais au lycée. On a jamais vraiment vécu là-bas. On est parti à l’âge de 16 ans. Toutes mes « premières fois » se sont réalisées en Europe et aux Etats-Unis. J’estime donc que je suis davantage américaine maintenant mais cela ne m’empêche pas d’aimer toujours autant l’Australie. »

Si vous n’aviez pas été ensemble, que feriez-vous aujourd’hui ? 
Chad : « J’ose espérer que je serais toujours un pilote installé aux Etats-Unis. A 3 ans 1/2 je rêvais déjà de venir rouler ici et je ne connaissais pas Ellie à cet âge (ils rigolent tous les deux). Cela dit c’est effrayant de penser à ma vie sans Ellie. Sans elle je ne serais pas là aujourd’hui. »
Ellie : « C’est rigolo car je n’ai jamais eu envie de voyager et quitter Kurri Kurri. J’étais heureuse avec ma famille. Après le lycée, j’étais acceptée à l’université pour poursuivre des études d’institutrice. J’ai décidé de suivre Chad en Europe. Sincèrement on ne savait pas du tout où on allait. On n’avait jamais vécu sans nos parents et en couple. On a pris des risques et cela valait le coup car nous avons une belle famille maintenant avec deux enfants et un autre en route. Tout ça pour dire que je n’ai aucune idée où je serais aujourd’hui sans Chad mais je préfère penser que je suis avec lui de toute façon. »

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LeBigUSA.com : Vous avez quitté tous les deux vos familles à l’âge de 18 ans, comment ont-elles réagi ? 
Chad : Quand je suis parti en Europe avec Ellie, mon père a été très négatif car il était contre notre départ. Il n’avait rien contre Ellie mais il était contre le fait que je parte avec une fille. Toutes les familles de pilote sont comme ça. Les parents investissent énormément de temps et d’argent dans le succès de leur fils et d’un coup il s’en va. Si en plus il part avec une fille qui va devenir le centre d’attention, c’est sans doute le pire qu’il puisse arriver. Les parents ont du mal à  lâcher leur « investissement » et surtout de le voir s’envoler avec quelqu’un d’extérieur. C’est pourtant une progression naturelle.
Ellie : J’ai eu moins de souci avec mes parents. Evidemment ils n’étaient pas joyeux à l’idée de me voir partir en Europe surtout qu’on n’était pas une famille de motocross. Tout ça était nouveau pour nous. Mon père était joueur de rugby jusqu’à l’âge de 37 ans. Il avait une mentalité de sportif donc il a compris notre envie de partir pour faire notre vie à l’étranger.
Chad : Ca va mieux avec mon père maintenant mais les blessures sont profondes. Il a dit des choses que je ne peux pas pardonner. C’est difficile d’avancer. Etre papa m’aide à comprendre un peu mieux son comportement mais je ne le cautionne pas pour autant.

Depuis que l’on se connait, vous avez toujours dit que si vous aviez des enfants, ils ne feraient pas de moto, j’ai cru voir votre fils Tate rouler non ? 
Chad : J’ai vécu ça toute ma vie. Je sais les sacrifices et les risques que cela représente de faire rouler ses enfants. Je suis passé par là. Si Tate est passionné et veut travailler dur pour être pilote de cross, c’est son choix et je n’ai absolument rien contre ça. Il est très intelligent sur son PW quand je le vois rouler. Je ne dis pas ça parce que je suis son père mais je pense que la moto est clairement dans ses gènes.
Ellie : Je veux juste que Tate le fasse pour les bonnes raisons et pas pour suivre les traces de son père. En tant que maman je ne suis pas effrayée à l’idée de le voir rouler sur une moto de cross. En revanche ça m’effraie qu’il puisse avoir un accident de voiture à 18 ans avec ses copains en rentrant d’une soirée trop arrosée par exemple. J’ai peur de ça. Tout peut arriver et je ne veux pas vivre dans la peur parce qu’il roule en cross. Il n’a jamais roulé sur un deux roues sans casque depuis qu’il a deux ans. Si Tate montre du talent sur une moto et qu’il fait les choses comme il faut je n’ai aucune raison d’avoir peur.

Vous avez connu des moments d’inquiétude pour la santé de votre fille Kiah, comment va t-elle maintenant ?
Chad : Quand les docteurs annoncent que ta fille est atteinte de microcéphalie, tu passes la soirée du Google.com et tu déprimes. Ta vie devient un enfer. On était complètement aveugle. Je connaissais déjà une année difficile sur le point professionnel. J’ai pris beaucoup de recul à ce moment-là. Le championnat outdoor ne comptait plus du tout. Je haïssais ma moto, je n’avais pas de résultat, je ne voulais plus aller sur les courses. Je m’en foutais de tout, je voulais juste que ma fille soit en bonne santé. Tout est relatif dans la vie.

Ellie : C’était comme si on était frappé par un train. Kiah allait très bien, son développement était normal et un docteur nous a dit d’aller voir un spécialiste parce que sa tête était plus petite qu’elle ne devait l’être. On a fait tous les examens qu’il fallait et il s’est avéré qu’elle n’avait absolument aucun symptôme lié à la microcéphalie. Elle a 20 mois maintenant et elle va très bien. On va chez les neurologiste tous les six mois pour des contrôles de routine mais c’est tout. Cette mauvaise expérience est derrière nous.

Vous attendez un autre enfant, jusqu’où comptez-vous arrêter ?
Chad : Je crois que trois est un bon chiffre. Après ma carrière, j’ai envie de pouvoir profiter de ma famille autour de moi et j’aime les enfants.
Ellie : Je viens d’une famille où l’on était quatre. Je suis donc habituée à avoir des frères et soeurs. On était content après Kiah mais ce n’était pas assez visiblement. Au début je voulais six enfants. J’en suis à la moitié. C’est déjà pas mal. On verra plus tard.

La retraite vous y pensez tous les deux ? 
Chad : La retraite me fait peur parce que j’aime trop le cross. En même temps j’aime penser que je peux ne plus rouler car le calendrier d’un pilote aux Etats-Unis est ridicule. Il n’y a aucune pause et tout s’enchaine. Tu termines l’outdoor fin août et tu n’as même pas le mois de septembre tranquille car tu dois aller au Motocross des Nations et tu enchaines avec la Monster Cup. Ca serait top d’avoir vraiment une période sans aucune course. Pour répondre à ta question je n’y ai pas encore pensé. J’aimerais continuer la compétition, faire du kart, participer au championnat V8 en Australie, etc. Mon objectif est de prendre ma retraite en moto mais de continuer à faire des courses sur quatre roues par exemple.
Ellie : S’il arrête complètement la compétition, il va me rendre folle. Chad a besoin de ça tous les jours. Avec Tate, ils font même la course pour se mettre en pyjama. Comme Chad, j’ai besoin d’avoir une activité sinon je m’ennuie. Les enfants vont grandir et ils vont continuer à nous occuper de toute façon. Le mot « retraite » ne veut pas dire grand chose pour nous.

A vous deux, vous avez accompli déjà beaucoup de choses, que vous manque t-il aujourd’hui ?
Chad : Il me manque un titre en outdoor. Je pense que j’en suis encore capable. Sinon j’aimerais bien voir TwoTwo Motorsports être une équipe compétitive et qui continue à gagner des courses et des championnats sans moi. Personnellement j’ai hâte de voir ce que mes enfants vont faire dans la vie. Tate va déjà à l’école et il aime ça. C’est enrichissant de voir ses petits grandir.
Ellie : On pourrait tout arrêter maintenant et profiter de notre vie tranquille mais ce n’est pas notre style. Autant creuser un trou et sauter dedans. On veut continuer à avancer et avoir plein de projets sinon à quoi bon ? Le meilleur reste à venir.

Propos recueillis par Stéphan Legrand en Floride (juin 2014).

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